Page:Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
152
la porte étroite

s’écriait enfin Alissa devant les indiscrets efforts de cette grosse femme pour s’effacer.

— Mais si ! mais si, mes enfants ! je vous comprends très bien ; quand on est resté longtemps sans se revoir, on a des tas de petites choses à se raconter…

— Je t’en prie, tante ; tu nous désobligerais beaucoup en partant ; — et cela était dit d’un ton presque irrité où je reconnaissais à peine la voix d’Alissa.

— Tante, je vous assure que nous ne nous dirons plus un seul mot si vous partez ! ajoutai-je en riant, mais envahi moi-même d’une certaine appréhension à l’idée de nous trouver seuls. Et la conversation reprenait entre nous trois, faussement enjouée, banale, fouettée par cette animation de commande derrière laquelle chacun de nous cachait son trouble. Nous devions nous retrouver le lendemain, mon oncle m’ayant invité à déjeuner, de sorte que nous nous quittâmes sans peine ce premier soir,