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la porte étroite

séparée de toi, que j’allais rester séparée de toi longtemps, longtemps — et très bas elle ajouta : toute ma vie — et que toute la vie il faudrait faire un grand effort…

— Pourquoi ?

— Chacun, un grand effort pour nous rejoindre.

Je ne prenais pas au sérieux ou craignais de prendre au sérieux ses paroles. Comme pour y protester, mon cœur battant beaucoup, dans un soudain courage je lui dis :

— Eh bien, moi, ce matin, j’ai rêvé que j’allais t’épouser si fort que rien, rien ne pourrait nous séparer — que la mort.

— Tu crois que la mort peut séparer ? reprit-elle.

— Je veux dire…

— Je pense qu’elle peut rapprocher au contraire… oui, rapprocher ce qui a été séparé pendant la vie.

Tout cela entrait en nous si avant, que j’entends encore jusqu’à l’intonation de nos