Page:Gide - Le Journal des Faux-monnayeurs 1926.djvu/138

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qui me laisse craindre de n’être pas de bon usage. De plus, je manque d’instruction à un point qu’il ne saurait croire. Je n’ai guère rien lu et ne me sens en humeur de rien lire. J’ai peut-être certain goût pour les mots et les courtes phrases, mais je sais trop de langues pour en parler parfaitement aucune ; et j’écris n’importe comment. Je crois que je suis trop impatient pour jamais rien réussir.

Au fond, Édouard ne me connaît pas plus que, moi, je ne le connais. Quand il m’a demandé si j’avais une maîtresse, j’ai failli lui dire que je ne redoute rien tant qu’une liaison ; mais mieux vaut ne pas trop se découvrir. J’ai l’horreur de parler de moi ; cela ne vient pas seulement de ce que je ne m’intéresse pas à moi-même, mais surtout de ce que je n’avance rien sur moi-même, que le contraire ne m’apparaisse aussitôt beaucoup

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