Page:Gide - Philoctète, 1899.djvu/75

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des contours souhaités pour envelopper enfin sa grande âme.


Au bord du fleuve du temps, Narcisse s’est arrêté. Fatale et illusoire rivière où les années passent et s’écoulent. Simples bords, comme un cadre brut où s’enchâsse l’eau, comme une glace sans tain ; où rien ne se verrait derrière ; où derrière le vide ennui s’éploierait. Un ennuyeux, un léthargique canal, un presque horizontal miroir ; et rien ne distinguerait de l’ambiance incolorée cette eau grise, si l’on ne sentait qu’elle coule.

De loin, Narcisse a pris le fleuve pour une route, et comme il s’ennuyait, tout seul dans tout ce gris, il s’est approché pour voir passer des choses. Les mains sur le cadre, maintenant, il se penche, dans la traditionnelle posture. Et voici que comme il regarde, sur l’eau soudain se diapre une mince apparence. — Fleurs des