Mais en regard de ces avantages, on a signalé depuis longtemps des inconvénients assez graves :
1o Abrutissement du travailleur qui est réduit, par la répétition d’un même mouvement aussi simplifié que possible, à un rôle purement machinal[1].
À cela il faut répondre que l’emploi des machines tend à corriger sans cesse ce funeste effet de la division du travail. On peut être assuré, en effet, que sitôt qu’on est arrivé à simplifier une opération au point de la rendre purement machinale, il ne se passe pas longtemps avant qu’on ait remplacé le travailleur par une machine, car, en pareil cas, on trouve toujours économie à le faire.
La limitation de la journée de travail, qui laisse à l’ouvrier le moyen d’occuper d’une façon plus normale son corps et son esprit, doit être considérée aussi comme un correctif indispensable de la division du travail dans l’industrie moderne[2].
2o Dépendance extrême de l’ouvrier qui est incapable de rien faire en dehors de l’opération déterminée et tout à fait spéciale dont il a pris l’habitude et qui, par suite, se trouve à la merci d’un chômage ou d’un renvoi. Comme les pièces même qu’il façonne et qui ne valent quelque chose que par l’assem-
- ↑ Voir l’opuscule classique de Lemontey sur la division du travail, et sa phrase fameuse « C’est un triste témoignage à se rendre que de n’avoir jamais fait dans sa vie que la dix-huitième partie d’une épingle ».
- ↑ Le socialiste Fourier a cru pouvoir, tout à la fois, obtenir les avantages de la division du travail et éviter ses inconvénients, à l’aide de ce qu’il appelle les courtes séances. Chaque travailleur devra pratiquer non un seul, mais un certain nombre de métiers et passera alternativement de l’un à l’autre. Les avantages de la spécialisation subsistent car il n’est pas nécessaire que l’homme ne fasse toute sa vie qu’une seule chose pour la faire bien : on peut très bien devenir habile dans cinq ou six opérations différentes, surtout, si par suite de la division du travail, ces opérations sont très simples ; et d’autre part, la monotonie abrutissante d’une même opération est évitée. La passion que Fourier désigne très pittoresquement du nom de papillonne reçoit ainsi satisfaction. L’idée de Fourier n’est point absurde, quoiqu’on l’ait fort raillée ; seulement, pour être mise à exécution, il faudrait que l’ouvrier pût changer de travail sans perdre trop de temps c’est précisément pour cela qu’il avait inventé « le phalanstère » et y groupait tous les travailleurs, afin que cette rotation des travaux fût facile à organiser et que le forgeron pût à toute heure quitter son enclume pour aller cultiver des roses.