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Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/440

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leurs besoins et ne songeront pas à la placer, ce qui, au reste, leur serait sévèrement interdit. Ils pourront tout au plus se livrer à une thésaurisation stérile et sans utilité sociale.

Et comme il faut bien pourtant entretenir et accroître le capital national, par quelle source remplacera-t-on l’épargne privée ? — Par l’épargne publique. La Société, nous dit-on, fera comme font aujourd’hui toutes les sociétés financières : elle prélèvera sur nos revenus une part de 10 ou de 20 % qui sera affectée au fonds de réserve. Oui ! seulement on n’a jamais vu jusqu’à ce jour un État sachant, voulant ou pouvant épargner : il faut donc supposer que le gouvernement collectiviste ne ressemblera à aucun de ceux qui l’ont précédé, qu’il sera économe, prévoyant, qu’il aura toutes les vertus qui caractérisent aujourd’hui un bon « bourgeois ! »[1]

4° La formule de répartition proposée est en contradiction avec les lois de la valeur et impraticable en fait. À chacun selon son travail, c’est pourtant la meilleure des formules de la justice distributive. Il serait juste de proportionner la rémunération de chacun à la peine qu’il a prise, à la bonne volonté dont il a fait preuve[2] — et cela indépendamment des circonstances extrinsèques, telles que la supériorité ou l’infériorité de ses facultés physiques et intellectuelles, les chances favorables ou défavorables qui ont pu rendre son travail plus ou moins efficace. Le travail d’un balayeur de rues nous paraît, au point de vue de la justice absolue, mériter une rémunération égale au travail d’un James Watt ou d’un Pasteur, si d’ailleurs il a été fait en conscience, c’est-à-dire si cet homme a fait tout ce qu’il pouvait faire. Telle est bien l’idée que nous nous faisons même de la justice divine, quand nous affirmons qu’elle mesurera aux hommes les récompenses et les châtiments sui-

  1. Les collectivistes répondent que la Société collectiviste ne sera pas un État, mais que, suivant le mot d’Auguste Comte, le gouvernement des personnes sera remplacé par l’administration des choses. Ce sera en tous cas une administration publique, donc l’objection demeure.
  2. Kant a dit admirablement « De toutes les choses qu’il est possible de concevoir dans ce monde, il n’y a qu’une seule chose qu’on puisse tenir pour bonne sans restriction, c’est une bonne volonté ».