Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/491

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perfectionneront le jeu de l’offre et de la demande — en un mot qui assimileront de mieux en mieux le trafic de la main d’œuvre à celui des marchandises.

L’école collectiviste réclame hautement l’abolition du salariat qu’elle considère comme la dernière forme de l’esclavage : au travailleur, dit une formule de style dans tous les programmes ouvriers, « l’intégralité du produit de son travail ». Mais nous croyons que loin de l’abolir, elle ne ferait par son système que le perpétuer et l’universaliser — et c’est un nouveau grief que nous ajouterions à ceux que nous avons déjà fait valoir contre elle (Voy. pp. 430-434). En effet son programme consiste, comme nous le savons, à faire de la nation ou de la commune le seul entrepreneur et à supprimer toute entreprise individuelle : donc chacun travaillera pour le compte de la nation et recevra d’elle sa part proportionnellement à la quantité de travail qu’il aura fourni. Si ce n’est pas là le salariat, il faut avouer du moins que cela lui ressemble beaucoup. Il serait plus exact de dire que le collectivisme supprimera — non les salariés, car nous le serons tous sans exception — mais les patrons, car le seul patron sera la Nation.

L’école catholique accepte le salariat comme un état normal et définitif : elle est logique en cela, puisque le patronage et le patronat sont la base de son système social. Seulement elle proteste contre l’assimilation entre la main-d’œuvre et les marchandises ; elle ne veut pas que le salaire soit réglé par la loi de l’offre et de la demande. Elle déclare que l’ouvrier a droit au juste salaire — en entendant par là le salaire suffisant pour lui permettre de vivre, lui et sa famille, dans des conditions décentes et dignes d’une créature de Dieu qui a droit au pain quotidien d’abord, mais « qui ne vit pas de pain seulement »[1].

  1. C’est à peu près ce que l’on appelle en Angleterre, par une expression difficile à traduire, living wage, le salaire qui permet à l’ouvrier de mener une existence jugée confortable dans le milieu où il vit. Mais elle n’est guère plus précise. Car notez bien que ce living wage qui a été évalué par le Conseil du comté de Londres à 24 sch. par semaine (30 fr.) a été évalué par le socialiste Keir Hardie à 3 £ (75 fr.) !