Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/111

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ligne assis sur le rivage, avec tout le sérieux que comporte ce genre de sport. On est tenté de faire bon marché de vérités si prosaïques. On songe au style un peu bourgeois des conteurs florentins du xive siècle : comment ont-ils traité nos romans de la Table ronde ! Saint François, fou de ces romans, les eût-il reconnus et se fût-il reconnu lui-même dans cette version terre à terre ?

Et cependant, c’était une révolution. Pour la première fois depuis des siècles, l’art, au lieu de reproduire des formules, imagine, invente, improvise. Au lieu de copies de copies, bâtardes, dégénérées, difformes, c’est la vie qui devient l’objet de l’imitation, la source et la matière du beau.

Du fait qu’il s’agissait de représenter non plus un passé mort, à jamais évanoui et fixé dans une attitude immuable, mais une existence d’hier, toute fraîche et inédite, pour laquelle n’existaient ni recettes, ni règles ; du moment qu’il fallait risquer, créer, sortir de la convention et se montrer original ; du moment que le présent devenait de l’histoire, qu’un innocent, un de ces va-nu-pieds qui pullulent en Italie, se divinisait tout à coup par la plus céleste des ressemblances ; du moment que cette humble vie prenait la subite dignité d’une traduction moderne de l’Évangile, — chaque incident de cette vie, chaque trait du personnage, revêtait une valeur nouvelle et infinie. Les moindres réalités, les plus petites circonstances, méritaient d’être recueillies, glanées, glorifiées. C’est ce qu’avaient essayé de faire les barbouilleurs du xiiie siècle. Bientôt le cadre s’élargit : une première série de fresques expose, dans l’église inférieure d’Assise, cinq scènes de la vie de François, mises en parallèle avec cinq scènes de la vie de Jésus[1]. Un demi-siècle encore, et voilà Giotto.

  1. Ces fresques d’un artiste inconnu, qui est peut-être Giunta de Pise, sont datées approximativement de 1250. M. Sabatier (Vie de saint François,