Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/126

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aux pauvres, se fait donner la discipline. Est-ce là un féodal, un politique, un chef de la maison de France ? C’est quelque chose de plus important : une âme préoccupée du problème du salut, et qui passe au milieu des choses éphémères, les yeux fixés sur le divin.

Je songe à un passage du bon Salimbene, qui rencontra saint Louis à Sens. C’était un vendredi, mais le frate, quarante ans après, se délecte encore au souvenir du « maigre » qu’on y fit. Après le dîner, le monarque fait asseoir les frères à terre autour de lui et leur tient un petit discours plein d’onction. Le roi de France au milieu d’un cercle de moinillons, quel pendant au sermon de saint François aux oiseaux ! Quoi de plus franciscain ? Mais, en même temps, pour l’art, quelle cause d’intimité, de familiarité ! Comme le surnaturel égalisait la vie ! Rois ou mendiants, grands ou petits, deviennent pareils dès qu’on adopte ce point de vue parfaitement niveleur. Prendre pour mesure des faits leur sens intérieur, c’était leur accorder à tous les mêmes droits à l’art. Ainsi partout se développent les mêmes conséquences, et se propage l’idée que la vie seule est précieuse, et vaut par elle-même d’être représentée.

Je me résume. Depuis des siècles, l’art ne subsistait que de formules. On croyait la vie épuisée. Le monde, avec Jésus, avait fini son temps et dit son dernier mot. Hors de cette histoire privilégiée, on jugeait que rien n’était digne d’occuper la pensée. Les yeux tournés vers le passé, on répétait sans cesse les mêmes formes sues par cœur. On ne regardait plus la nature. Le moyen âge l’avait traversée sans la voir, comme saint Bernard, ayant voyagé tout un jour le long du lac Léman, demandait le soir où était le lac.

Soudain, le prodige de l’Alverne se produit en coup de théâtre. On découvre avec étonnement, non pas un second