Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/239

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filles vous aguichaient, vous hélaient sur les tombes[1]. La recluse, murée dans son étroite logette, comme une espèce de morte vivante, fut témoin d’étranges commerces[2]. À l’extérieur, sous des auvents, s’abritaient les lingères, les marchandes à la toilette, les adroites et jolies vendeuses d’articles de Paris. Les écrivains publics y tenaient leurs échoppes. C’était le bureau d’amour des soubrettes et des chambrières[3]. Le soir, on allumait le fanal ou lanterne des trépassés, pour écarter la « chose » qui rôde dans les ténèbres. Toutes les excitations, tous les miasmes fiévreux de l’amour et de la mort, du sépulcre et de la chair, de la peur, du péché et de la pénitence, se donnaient rendez-vous dans ce champ formidable. C’est dans ce cloître de sale et puissante poésie que fut peinte le long d’un des murs, pendant le carême de 1424, la première Danse macabre[4]. Un de ces alignements qui saccagent de jour en jour les merveilles de Paris, abattit le mur et la fresque au xviie siècle. Le reste fut rasé en 1786[5]. Mais un délicieux tableau de Simon

  1. « Et quod pejus erat, meretricabatur in illo ». Guillaume Le Breton, Philippide, l. I, v. 441, Rerum gallic. Scriptores, t. XVIII, p. 127.
  2. Sur ces recluses, cf. Lebeuf, Histoire de la ville et du diocèse de Paris, 1883, t. I, p. 150. Quelques-unes furent célèbres, comme Jeanne Pannoncelle et Jeanne la Vodrière ; mais la plus connue est Alix la Bourgotte, qui mourut en 1465, et à qui Louis XI fit faire un tombeau à ses frais. Elle y figurait à genoux sur une lame de cuivre, un livre dans les mains, ceinte d’un cordon de cordelière. Cf. Hélyot, Histoire des ordres monastiques, 1721, t. II, p. 294. Les recluseries, en effet, s’étaient fondues peu à peu dans les ordres mendiants. — Ce genre de pénitence servait parfois de châtiment. Renée de Vendômois, convaincue d’adultère et du meurtre de son mari, est emmurée à vie en 1485 au cimetière des Innocents. Lebeuf, loc. cit.
  3. Noël du Fail, Contes d’Eutrapel, ch. ix. « Les alchimistes que l’on voit, par bandes et régiments se promenant, comme étourneaux, aux cloîtres Saint-Innocent, à Paris, avec les trépassés et secrétaires des chambrières… » Il y avait, en effet, le Charnier aux Ecrivains, le Charnier aux lingères. Cf. Dufour, loc. cit.
  4. Journal d’un bourgeois de Paris : éd. Tuetey, 1881, p. 203, 234 ; Guillebert de Metz, Description de Paris (1436) dans Leroulx de Lincy et Tisserand, Paris et ses historiens, p. 193, 284.
  5. L’élargissement de la rue de la Ferronnerie qui fit disparaître la