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tique, dont le premier n’est que l’enveloppe et le vêtement d’un jour[1]. On croyait que certaines pratiques, un jeu de miroirs, deux chandelles, suffisaient à dégager, à extérioriser ce spectre, cette larve inconnue de nous-mêmes. Le « mort » de la Danse macabre, c’est le vivant réel,

Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change.

C’est, dit fortement M. Mâle, notre avenir qui marche devant nous[2].

Il est diabolique, ce mort. D’abord, est-ce vraiment un mort ? Qui est-il ? On ne sait : il n’est ni chair ni os, ni homme ni squelette. Ce n’est pas la carcasse, l’objet d’anatomie, sans rien de commun avec nous, lointain, distant et étranger. Le vieux frère que voilà est quelque chose de bien autrement redoutable. On montre en Italie, en Gascogne, en Auvergne, certaines cryptes qui sont de vrais séchoirs à cadavres : le corps, sans se corrompre, se tanne et se momifie. C’est le portrait du ma-

  1. Cf. Dimier, Les danses macabres et l’idée de la mort, 1902, p. 15 ; Masseron, art. cité. — L’idée, en France, ne paraît pas avoir été très nette. Dans le texte français, le partenaire du « vif» s’appelle toujours « le mort » ; dans la version latine, publiée par Guyot Marchant en 1490, le même personnage devient « Mors », et non « Mortuus ».
  2. L’idée n’est qu’en germe à Paris. Elle se fait à peine sentir à quelques détails. Elle ne devient manifeste que dans la Danse de Bâle ; l’humour, le gemuth allemand s’en donnent à plaisir. Le « double » du cuisinier brandit une broche, celui du chevalier porte cuirasse, celui du fol arbore le bonnet de folie et secoue ses grelots. Cette danse, quoique fille de celle de Paris, semble en partie originale : c’est la première qui mêle les sexes, chose qui ne s’observe jamais dans les danses françaises. Celles-ci demeurent exclusivement masculines, et c’est un indice de plus de leur origine monastique. Enfin, la satire, à Bâle, est plus individuelle. Le défilé finit par le peintre et sa femme. — La Danse du Klingenthal a été reproduite à l’aquarelle par Büchel (1766) et publiée par le P. Berthier, La plus ancienne (?) Danse macabre (1897). Celle des Dominicains est connue par les belles gravures de Mérian (1649), qui ont été elles-mêmes souvent rééditées. J’ai entre les mains un exemplaire de la réimpression de 1744. C’est un vieux livre fatigué, crasseux, une loque dont le papier, par endroits, est plus mince qu’une feuille de papier de maïs. Combien de doigts de femmes, d’enfants, ont usé successivement ces pages mélancoliques !