Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/245

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cabre danseur. Ce pantin aux yeux vides, au joyeux rictus, anguleux, grêle, sautillant, avec ses mollets de coq, ses mouvements secs, ses tics, ses déclics brusques, son ventre crevé où grouillent les vers, semble une caricature, une dérision effroyable de la vie ; le cynique automate fait des grâces, des entrechats, des ronds de jambes, des courbettes comme un maître des cérémonies ; familier, il passe le bras sous le bras de sa victime, lui tape sur l’épaule ou la prend par la taille ; ou bien, il devient rogue, il fait le goguenard, il nargue, parodie, siffle l’outrage et le sarcasme ; il minaude, badine, bouffonne, imite de son fausset ceux qui répugnent à marcher, hésitent à sauter le pas. Lui seul danse dans le cortège : les autres suivent résignés, et se laissent aller où va le fatal convoi. Et le zigzaguant baladin devient insoutenable à voir, avec son atroce ironie, ses lambeaux de pourriture, son simulacre d’humanité, et l’étalage impie de la chose sans nom que la terre doit recouvrir.

Mais le monstrueux fantôme était alors au fond des rêves. Partout cette curiosité impudique de la tombe, ces obsessions de déterrés. Le fin Louis d’Orléans, peu de jours avant son assassinat, avait eu la vision de sa mort. On représenta cette vision dans sa chapelle funéraire à l’église des Célestins[1]. L’innocent poète et berger, le roi René d’Anjou, fait peindre un cadavre de femme sur lequel une araignée avait tissé sa toile[2]. Sur sa tombe, un tableau représentait un roi, sceptre en main et couronne en tête : on s’apercevait, en s’approchant, que les yeux

  1. Dufour, Louis d’Orléans et les Célestins de Paris, dans les Recherches sur la danse macabre, 1873, p. 26-40. — Dessin de Gaignières à Oxford ; Lenoir, Statist. monument. de Paris, p. 186, et planches.
  2. Cf. J. Denais, Le tombeau du roi René, dans la Réunion de la Soc. des Beaux-Arts des Départements, t. XV, 1891, p. 139 ; de Brosses, L’Italie il y a cent ans, t. I, 1836, p. 20.