Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/173

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la cadence humaine. Épaule contre épaule, gris, massifs, casqués de fer, ils venaient, formidables et sinistres, comme une tribu guerrière de barbares en conquête. Elle approchait, grandissait, écrasant la rue, l’emplissant de sa masse tonnante. Et puis je vis que cette masse de fer, de drap, de cuir, était trouée de figures d’hommes. Il y en avait de pâles, de rouges, de brutales, d’exténuées. Il y en avait qui pleuraient. Il y avait une qui râlait, violette, les yeux jaillissants, la langue énorme. Elle passa. Elles passèrent toutes. Et en passant, elles se tournaient vers moi un instant, d’un mouvement qui montrait leurs deux yeux indifférents. Et je regardais leurs yeux, frénétique, pour savoir lequel d’entre eux avait combattu Jean… Et les yeux passaient, comme des yeux de cauchemar, renaissants, changeants, confondus… Alors, Dickson et Gudule sortirent de la petite grille qui grinça, et elles me prirent le bras, chacune, pour m’emmener. La porte se referma sur le soleil, et sur le bruit du troupeau fantastique qui passait, qui passait…


XII


Tout de suite, ils nous ont enlevé nos blessés, nos petits, pour nous donner les leurs. Ce sont les