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Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/193

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J’entends autour de moi le bruit sec des aiguilles qui tricotent. C’est pour les pauvres et les soldats. Et tous ces petits bras perfectionnés se meuvent, tapissent, brodent : on dirait de vraies broderies. J’entends parler, j’entends les voix des automates, comme de petits moulins qui égrènent des antiennes. Et même j’en perçois les paroles. La guerre, les pauvres, les vexations, les provisions…

Et aussi, il est arrivé une chose affreuse. Une chose qui va désespérer Colette.

Qu’est-ce qui est affreux ? Qu’est-ce qui va désespérer Colette ? Qui est mort ?

Jean Valentin est mort.

Il est mort dans un corps à corps, de coups de bayonnette. Et il faut ne pas dire cela à la veuve. Non, non, cela lui ferait de la peine…

Je devais savoir cela. Cela ne m’étonne en rien. Mais comme ce peloton devient grand, il est grand comme une roue de chariot, il est grand comme une meule ; pour en faire le tour, mon bras se démanche, s’arrache de mon épaule.

Du thé ? Mais oui, merci, je prendrai du thé. Oh ! certainement, c’était un grand ami : il me manquera beaucoup. La guerre, les pauvres, les vexations, les provisions, la pauvre veuve…

Jean Valentin est mort.

Partir ? Tout le monde part. Pourquoi part-on ?