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LES GUÉRÊTS EN FLEURS


Elle s’émeut lorsque, dans la rosée en perle,
Dès l’aube rosissant le sombre firmament,
Les robustes faucheurs regagnent bruyamment
La plaine où le foin mûr en longs flots verts déferle.

Elle se ressouvient des gars du « Grand Coteau »,
De maints autres venus, à l’heure de l’orage,
Attendre à son foyer accueillant, que la rage
Épuisât sa fureur de « poudrerie » ou d’eau.

Ces visages, ces noms que gardent sa mémoire,
Lui chantent le rappel des souvenirs anciens.
Dont la douceur se mêle à la douceur des siens,
Comme un lis blanc jeté sur une blanche moire.

Malgré le temps qui fuit tel un coursier sans mors,
Malgré l’oubli rôdant pour atteindre sa proie,
Sa douce âme d’aïeule en qui chante la joie,
Rajeunit en vivant du penser de ses morts.

De leur austère vie, elle a gardé l’empreinte.
Par elle, leur vertu ne fut pas un mot vain ;
Au pauvre ouvrant son cœur maternel et divin,
Elle en offre à jamais sa tendresse non feinte.

Aussi, quand des beaux jours, l’hiver sonne le glas,
Le miséreux revient comme auprès de sa mère
Chercher l’oubli profond de l’existence amère
Que tant d’affreux regrets attachent à ses pas.

C’est pourquoi la maison de chez-nous toute belle,
Près du verger assis aux abords du chemin
Que baigne la fraîcheur des eaux de l’Echemin,
Garde en mon cœur, toujours, la grâce essentielle.