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POÈMES AUX AÏEUX

II

Oh ! vous tous défricheurs qui fûtes mes ancêtres,
Je ne connais rien plus de ce temps primitif,
Mais vous régnez en moi comme font les bons maîtres
Sur l’esprit éveillé de l’élève attentif.
Tout en ces lieux me dit votre œuvre noble, immense !
Cette maison s’offrant aux baisers du soleil ;
Cet abreuvoir en cèdre où, quand le jour commence
Viennent boire les bœufs, les yeux pleins de sommeil ;
Cette grange vétuste où dans les « tasseries, »
Les gerbes répandaient leurs grisantes senteurs,
Où sur l’aire, parmi les fines poudreries,
Roulait l’or des blés mûre jusqu’aux pieds des batteurs ;
Ce pont, fait d’étançons et de lourdes poutrelles,
De l’une à l’autre rive unissant le chemin
Qui, par les prés, conduit jusqu’aux friches nouvelles ;
Cette digue aux castors, où je jouai, gamin ;
Ce vieux moulin à vent juché sur la colline,
Et dont les bras dans l’air faisaient des gestes fous ;
Ce calvaire où le Christ dont la tête s’incline
Laisse errer son regard protecteur jusqu’à nous ;
Ce puits où chaque nuit un orchestre invisible
De grillons fait entendre un concert grave et doux ;
Ce vieux bac que le vent en colère où paisible