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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

des siens, sur le lieu même de son crime, sa cruauté contre la fille de sa sœur et surtout son double outrage à la religion des morts, envers Polynice et envers Antigone. Celle-ci est vengée, et les devoirs auxquels elle a sacrifié sa vie ont reçu des dieux une éclatante et terrible sanction. Ainsi la religion de la famille, la sainteté des devoirs funèbres, président au dénouement, après avoir été le ressort supérieur de toute l’action.

Voilà le fait bien visible devant lequel Hegel et Boeckh ont fermé les yeux. Il y a cependant entre eux une différence, tout à l’avantage du premier. Chez celui-ci se distingue une vue haute qui offre un certain rapport avec l’idée antique. Il ne regarde, lui aussi, le conflit de la religion et de l’État que comme un accident destiné à disparaître bientôt. La résistance des acteurs humains passionnés et aveugles n’y peut rien : l’ordre se rétablit, mieux déterminé, et le progrès de l’harmonie est assuré par leur ruine. Sophocle n’allait pas jusque-là, mais il ne négligeait pas une des sources d’émotion les plus profondes de la tragédie grecque, le spectacle de l’agitation de l’homme, également égaré par sa passion et par sa raison, tandis que les décrets d’un pouvoir supérieur s’accomplissent. Seulement, chez lui, c’est Créon seul qui participe à ce genre d’intérêt qu’excitent les personnages soumis à de pareilles épreuves.