du sentiment qui possède tout entière l’âme tendre du gigantesque berger :
« Souvent ses brebis revinrent seules à l’étable, en quittant les verts pâturages ; et lui, chantant Galatée, là, près des algues du rivage, il se consumait depuis l’aurore, gardant au fond du cœur la cruelle blessure de la grande Cypris, qui avait enfoncé son trait jusqu’au foie. Mais il trouva un remède : assis sur un rocher élevé, regardant la mer, il chantait ainsi… »
Ce chant de Polyphême, plein de grâces pastorales et d’élans de brûlante passion, s’envole vers la mer en couplets irréguliers. Des éditeurs et des critiques modernes ont voulu les ramener à une série de strophes pareilles ou symétriques. C’est une erreur, qui fausse le caractère du poème en substituant la régularité à une suite d’effusions inégales dont le développement n’est jamais considérable, mais qui s’abandonnent ou se resserrent en traits plus rapides, suivant les mouvements de l’âme et ses impulsions spontanées. L’ensemble, plein et varié, est un chef-d’œuvre de naturel. Il n’y a qu’un grand poète de l’antiquité pour produire avec cette aisance en peu de vers tant d’impressions nettes et diverses, et pour marquer avec autant de force dans cette diversité l’obsession constante de la passion : « Je joue de la syrinx comme pas un des Cyclopes, » dit-il pour se faire valoir ; et, comme l’idée de son talent est pour lui insépa-