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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

après avoir perdu l’amour de sa maîtresse ; ou bien son amante irritée, non contente de l’avoir privé de la vue, le changeait en rocher, légende née, disait-on, de l’existence d’un rocher à forme humaine dans le voisinage de la ville de Céphalœdis[1] ; ou bien enfin son père Mercure, prenant pitié de lui, l’enlevait dans le ciel et, à la place où il avait disparu, faisait jaillir une source qui prenait son nom et près de laquelle se célébraient des sacrifices annuels[2].

Voilà donc une assez grande variété de légendes plus ou moins anciennes, d’une invention plus ou moins naturelle ou arbitraire, qui se forma au sujet du héros sicilien de la poésie pastorale. Théocrite avait à choisir et était libre lui-même d’inventer. Qu’a-t-il fait ? A-t-il adopté ou composé à son usage une histoire de Daphnis, arrêtée dans le détail comme dans des lignes générales, thème invariable et fixe, toujours présent à son esprit dans les divers ouvrages où il traite le sujet ? C’est ce que paraissent avoir pensé les commentateurs grecs, et plus d’un interprète moderne a suivi leur

  1. Servius ad Virg. Ecl. VIII, 68.
  2. Servius ad Virg. Ecl. V, 20. Il n’y a aucun compte à tenir d’une légende inventée par Nonnus (15, 307), le poète des Dionysiaques. Pour faire ressortir l’insensibilité de la nymphe Écho, il dit qu’elle résiste même à Daphnis ; elle se dérobe toujours, malgré la douceur des chants de son amant, qui l’appelle et la cherche en vain. C’est une traduction mythologique du phénomène de l’écho.