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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

C’est Priape qui parle de cette jeune fille éprise de Daphnis qui a tant occupé la critique. Ce dieu de l’amour physique, grossière personnification de l’énergie fécondante de la nature, et qui ne figure dans le monde pastoral que comme favorisant la reproduction des moutons et des chèvres, paraît ici pour faire ressortir par le contraste la nature délicate du héros sicilien. Quoi ! Daphnis est aimé passionnément d’une jeune fille et il se refuse à cette passion, lui qui de son côté meurt d’amour ! Quel est ce mal étrange ? Il faut qu’il soit la proie de quelque ardeur insensée.

Ce secret que Priape ne saurait deviner et que Daphnis, dans sa fierté, veut garder au fond de son cœur, il se révèle enfin dans le dernier effort d’un combat qu’on ne soupçonnait pas : Daphnis meurt de sa lutte contre Vénus et contre l’Amour :

« Vint Cypris, gracieuse et souriante, — un gracieux sourire sur les lèvres, mais la cruauté dans le cœur, — et elle dit : « Tu te vantais, Daphnis, de terrasser l’Amour : eh bien ! n’es-tu pas toi-même terrassé par l’Amour, le rude lutteur ? »

À elle Daphnis répond, mais pour la braver et pour nier sa défaite :

« Cruelle, indigne Cypris, Cypris odieuse aux mortels ! Désormais, penses-tu, nul soleil ne se lèvera pour nous ? Daphnis, même chez Hadès, sera pour l’Amour un pénible tourment. »