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Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/105

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Abel se lève tout d’une pièce, la gorge sèche, les yeux hagards, et retombe comme une masse sur son siège.

— Françoise Aspirot !… t’as dit Françoise Aspirot !… répète-t-il d’une voix brisée… Tu savons donc pas que…

— Abel, qu’as-tu ?… demanda le médecin sans s’émouvoir. Est-ce que réellement Françoise ?… Je n’ignorais pas que tu la trouvais jolie fille, mais de là à en être épris ! S’il fallait s’amouracher de toutes les filles que l’on trouve de son goût… Mais tu ne l’aimes pas ?

— L’aimer ! j’en étions fou !… À c’t’heure que t’as une position, c’est pour elle seule, frère, que j’travaillons, dans l’espoir de gagner assez d’argent pour la marier…

Et après un silence :

— Y a six ans que je l’aimions !…

— Et moi donc ! reprit Jacques en s’animant, et la voix méchante, l’œil en dessous. Il y a cinq ans, quand je suis revenu de ma dernière année de collège à Québec, et que j’ai rencontré Françoise sur la grève, pure et fraîche comme une rose, je me suis mis à l’aimer comme ça, tout de suite. Et, chaque année, quand je revenais prendre mes vacances d’université, et que je voyais Françoise s’épanouir en sagesse, en beauté, je me promettais bien de n’avoir jamais d’autre femme…

Il se leva et mit une main sur l’épaule du pêcheur :

— Abel, continua-t-il d’une voix radoucie, tu as été plus qu’un frère pour moi… Eh bien ! sache que j’aime tellement Françoise que, si je ne l’ai pas pour épouse, je ne me marierai jamais…