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Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/106

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Abel, mon frère, ma seconde mère, j’ai une faveur à te demander, celle qui couronnera le dévouement de ta vie… Aide-moi à gagner la main de Françoise, et je te devrai le bonheur de mon existence… Fais cela, dis, le veux-tu ?…

Le pêcheur se taisait.

Devant ses yeux agrandis par la douleur passèrent deux visions : Françoise, si belle, si douce, si pure, dans sa robe de percale blanche, avec ses yeux profonds et bleus comme, la mer, et son front de marbre couronné de cette masse ardente de cheveux d’or…

Il n’aimait plus qu’elle et son frère…

Jamais il ne pourrait la sacrifier, même à Jacques… Il l’aimait trop, trop, trop !… Et puis, il y avait si longtemps qu’il caressait le rêve d’en faire sa femme, qu’il la regardait déjà comme sienne…

Des pleurs perlèrent à ses cils.

Sa vue s’embrouilla. Il ne distingua plus clairement la première image qui s’effaça pour faire place à celle d’une femme au front ridé, aux yeux ternes enfoncés dans leurs orbites, à la chevelure d’une blancheur indécise.

Cette femme, étendue sur un grabat de souffrances, disait d’une voix qu’il n’oublierait jamais :

« Promets-moé, mon gars, de m’remplacer auprès de lui »…

Elle était vieille, cette femme, fanée, mourante, mais c’était sa mère. C’était celle qu’il avait juré de remplacer auprès de Jacques.