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cinquante livres, il revenait à la maison d’un pas pesant, le front sombre.

Il songeait, le pauvre, que cet argent ne lui servirait guère, puisqu’il ne servirait qu’à lui.

Tout le temps qu’il avait peiné, au prix de sacrifices que lui seul connaissait, à faire instruire son frère, à lui obtenir son diplôme de médecin, il avait travaillé avec courage, puisqu’il avait une ambition au cœur.

Et après que Jacques se fût établi dans la paroisse, alors, le pêcheur avait songé à son propre bonheur : se mettre assez d’argent de coté pour épouser Françoise. Il s’était imposé tant de privations, qu’au printemps, pensait-il, il pourrait demander la main de celle qu’il aimait.

Mais, voilà qu’un soir, Jacques avait frappé à sa porte et lui avait demandé sa Françoise aux cheveux d’or…

Suicide moral, le grand frère avait fait saigner jusqu’à la dernière goutte son cœur immensément bon…

Il avait donné sa parole au cadet à qui il ne pouvait rien refuser en mémoire de la morte…

Sa vie, maintenant, était brisée… Son âme ne rendait plus aucun son, comme la harpe dont la dernière corde vient d’être rompue par une main profane.

Depuis deux jours que Jacques était venu le trouver, il allait ainsi qu’une barge désemparée sur une mer sans rivages…

Se résoudrait-il jamais à parler à Françoise ?…

Il faudrait pourtant en finir un jour ou l’autre, il l’avait promis à Jacques.