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Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/17

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et, d’un seul bras couché sur la flasque du soufflet, fit entendre un sonore ronronnement. Il s’échappa d’abord du monticule de charbon, sous la poussée du vent sortant de la tuyère, une fumée opaque, jaunâtre, puis la flamme se fit çà et là une trouée, enfin le feu monta droit et brillant. Quand le narrateur vit qu’il avait suffisamment éveillé l’impatiente curiosité de son mince auditoire, il reprit après avoir toussé :

Oui, mes amis, ce castor a vu le feu en 1837 à Saint-Eustache. Et, comme la couronne de Charlemagne a été portée de tête en tête jusqu’à Napoléon, ce castor, comme on dit, a déjà appartenu au fameux Chénier, et, de tête en tête, est venu jusqu’à moi.

— Un tas de blagues que vous nous contez-là, repartit Lucien, incrédule.

— Des blagues ! sursauta mon oncle, rouge de colère de ce qu’on soupçonnait l’authenticité de son historique castor, c’est aussi vrai qu’il y a, comme on dit, un bon Dieu dans le ciel.

Le maréchal pour se donner une défaite ajouta :

— Il paraîtrait qu’il a fait du chemin vot’castor !

— S’il a fait du chemin ! j’te crois. Et plus que tu penses, comme on dit. Oui, mon cher, ce castor, tel que tu le vois, a appartenu à l’illustre Chénier ? Je posséderais le chapeau de Bonaparte que je n’en serais pas plus fier. Voici en deux mots son histoire :

Quand le patriote reçut dans le ventre un coup de pistolet, au moment où il enjambait une clôture, son castor alla rouler sur le sol…