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Trois semaines plus tard, mon oncle Césaire, emporté par une congestion de poumons, rendait à Dieu son âme pacifique.

On disait même dans Bécancourt, certains en gouaillant, mais d’autres fort sérieusement, que c’était l’héroïcité de son amour pour son castor qui avait hâté la fin du vieillard. En effet, un jour que mon oncle revenait de l’Île, où il était allé voir un sien ami, il avait été surpris par une pluie torrentielle. La fatalité s’en mêlant, il avait, pour la première fois de sa vie, oublié son parapluie chez son ami. Alors, il n’avait pas balancé. Courageusement il avait abrité son castor du mieux possible sous les pans de son habit, comme un enfant chéri qu’on protège contre la tempête. Et, sur son crâne poli comme une bille de billard la pluie froide et traîtresse était tombée. Revenu à la maison trempé comme une soupe, il s’était mis à grelotter et avait pris le lit.

Quand il vit arriver sa dernière heure, il fit venir Lucien Gagnon, et lui tint à peu près ce langage :

— Mon pauvre ami, c’est la fin. Non, non, ne proteste pas, je la sens là, tout près de mon lit. Tu vois, je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Je suis seul au monde, ou plutôt, les rares parents que j’ai se soucient de moi comme de l’homme dans la lune, comme on dit. Nous avons toujours été de vrais amis, comme qui dirait Nisus et Euryale de Virgile. Prends l’enveloppe que tu trouveras dans la boîte de la grande horloge de ma tante Égérie, dans la salle à manger. Je te nomme mon