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Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/74

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Et, à travers la frange de nos cils à demi-fermés, nous voyions, dans une savoureuse somnolence, flotter sur les nuages de nos pipes et de nos cigares des houris qui nous enveloppaient de leurs plus enivrants sourires.

Après que nous eûmes consciencieusement déchiqueté notre prochain, Raoul Planchon, le gros ventru, qui regarde le sommeil du jour comme une faiblesse humaine, nous dit de sa voix de contrebasse que l’on croirait émerger des cavités d’un tonneau qu’il est lui-même :

— À table, Messieurs, du bridge à un cent du point !…

— Accepté ! criâmes-nous en chœur.

À ces mots, mon ami Charles, qui rêvassait dans un coin, sur une ottomane plus moëlleuse que la couche du plus choyé des dieux de mythologique mémoire, bondit de son siège…

— Holà ! s’écria-t-il, vampires qui vous nourrissez de sang humain, vous voulez donc ma mort ?…

— Bridge ! bridge ! clamâmes-nous plus fort.

— Pas de bridge ! ni ce soir, ni demain, ni après-demain… jamais !

— Tiens ! observa le petit Jérôme Cornu, de sa voix aigrelette, les yeux rieurs derrière le binocle, Charles a fait vœu de ne plus jouer aux cartes pour trouver à se marier.

Ce dernier, dédaignant de répondre à ce trait malicieux, continua :

— Comment ! misérables, j’arrive, ce matin, exténué des fatigues d’un long voyage, je vous offre à dîner, je vous invite à venir ici, loin de tout œil inquisiteur et de