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Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/92

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Plusieurs fois, j’allai, et le soir et l’après-midi, voire même la matinée, chez le notaire, dans l’espérance de me trouver en tête-à-tête avec la jolie Suzette.

Fatalité ! Le marteau retombait, la porte s’ouvrait, et moi, je tombais dans les bras de l’homme au castor gris.

— Vous arrivez bien, mon ami, — j’étais devenu son ami — me disait-il, la figure épanouie. Nous sommes trois, nous allons faire la partie.

Ils étaient toujours trois, et, depuis mon voyage dans ce satané beau pays, je me défie du nombre trois que j’ai appris à regarder comme néfaste.

Et nous nous attablions, et nous jouions au bridge. Et, à mon retour à l’hôtel, si c’était le jour, la vieille dame à l’air très respectable et la brunette aux yeux clairs venaient vers moi, au sortir de table, la bouche en cœur :

— Une partie de bridge, Monsieur Moreau. Nous n’abusons pas, n’est-ce pas ?…

Et moi, par mollesse, je jouais, espérant toujours revoir enfin, seule, ma Suzette aux yeux doux.

Avais-je le malheur d’être invité quelque part, on me lançait invariablement la même phrase à la tête en accourant au-devant de moi :

— Oh ! Monsieur Moreau, nous allons avoir une partie de bridge !… Et vous allez vous amuser, car le bridge, ça nous connaît !… Nous ne ressemblons pas aux Gron-