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Page:Girard - L'Algonquine, 1910.djvu/25

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La fugitive regrette, cependant, de n’avoir point d’armes.

À ce moment même, son pied choppe contre un obstacle. Elle se baisse et trouve une hachette.

Elle s’en empare.

Encore quelques pas et l’Algonquine aura franchi la zone la plus dangereuse de sa fuite.

Elle bondit déjà pour s’élancer à toute vitesse dans les bois, quand tout à coup elle étouffe un cri de terreur.

Droit devant elle, les bras croisés, un sourire de dédain sur les lèvres et les yeux chargés de passion, Bec-de-Vautour lui barre la route.

Le jeune guerrier iroquois ne dit mot. Il attend.

Que signifient ce silence, cette immobilité ?

Chose certaine, c’est un obstacle.

Il faut passer outre.

Alors Oroboa rapide comme la foudre, terrible comme une bourrasque, saisit son arme des deux mains.

Animée d’une fureur guerrière grandie du péril qui l’attend, elle décharge de toutes ses forces centuplées un coup de hachette sur le crâne du sauvage, comme le bûcheron qui enfonce une hache dans une souche.

Le fer est resté dans la tête entr’ouverte, tant le coup a été violent.

Bec-de-Vautour pousse un cri, un seul, bat l’air de ses grands bras bronzés et huileux, chargés d’anneaux de cuivre, et il s’abat dans des flots de sang.

Le cri d’agonie du chef iroquois a jeté l’alarme dans le camp.

En un clin d’œil, les barbares sont sur pied.

On allume des flambeaux d’écorce, on court aux armes, et va çà et là sans se reconnaître.

La terreur est peinte sur tous les traits. On se croit assailli par un ennemi invisible. Les prisonniers se prennent à espérer.

Enfin, un sagamo trouve les liens qui retenaient Oroboa captive, un autre guerrier, le cadavre de Bec-de-Vautour.

Alors, on comprend.

Dans la nuit, retentissent des hurlements de rage et des cris de vengeance.

Il ne reste au camp que trois ou quatre Iroquois pour garder les captifs. Tous les autres guerriers s’élancent de côté et d’autre à la poursuite de la fugitive.

Oroboa, toutefois, n’était pas encore sortie du camp. Aussitôt l’alarme donnée, elle s’était blottie dans le creux d’une souche énorme.

Combien de fois ne fut-elle pas sur le point d’être prise.

Nombre de ceux qui s’étaient élancés à sa poursuite frôlèrent cette cache en courant. Il arriva même qu’un des Iroquois préposés à la garde des prisonniers s’assit sur cette souche quelques instants.

Oroboa, pensant qu’elle ne peut rester là plus longtemps sans danger, d’autant plus que l’aurore ne tarderait pas à paraître, prend sa course dans la forêt, évitant les pistes qu’elle découvre sur la neige.

Le soleil vient de se lever brillant. Le vert sombre des pins altiers prend, sous le ruissellement de flots d’or de l’astre levant des teintes joyeuses d’émeraude, et la masse des eaux calmes du Saint-Laurent parait être un gigantesque creuset contenant de l’or et de l’argent en fusion. Les corneilles, à la robe noire à reflets violets, se balançant à la cime des érables, des noyers, des chênes, des pins, des hêtres, annoncent par leur croassement la venue du printemps.

Les Anniehronnons, qui avaient déjà fait un immense circuit pour être plus sûrs de se lancer sur la piste de l’évadée, finirent par découvrir l’empreinte de ses petits mocassins sur la neige.

Deux jours et deux nuits ils poursuivent l’Algonquine.

Un midi que cette dernière avait grimpé à la cime d’un peuplier pour s’orienter, elle vit soudain quatre ou cinq de ses poursuiveurs qui se montraient à divers endroits sur une distance d’un demi-mille. Elle examina ces hommes. C’étaient bien de ceux qui avaient massacré les chasseurs algonquins.

Ils s’avançaient vers elle.

— Que faire ? que faire ? s’écria-t-elle dans un état de perplexité indescriptible.

Allait-elle se laisser prendre bêtement comme un renard aux abois dans sa tanière ?

Jamais.