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Il coupe ses liens, ramasse en courant son épée qu’on lui a enlevée, et disparaît dans les bois.

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Oroboa, quand elle se vit laissée seule par la mort de Plume-de-Faucon, versa des larmes amères, plus sur la fin de son généreux compagnon que sur son propre sort.

Après lui avoir rendu les derniers honneurs de la sépulture, elle se mit aussitôt en chemin…

Elle allait se jeter tête baissée dans le campement iroquois quand, soudain, elle entendit des éclats de voix et découvrit à la lueur du brasier les Iroquois qui terminaient leur macabre repas de membres humains.

Aussitôt, sans avoir aperçu Giovanni ligoté à l’arbre fatal, elle se tapit dans les joncs et les herbiers de la pointe, théâtre du combat.

Tout à coup elle entend un gémissement, suivi de ces paroles :

— À boire !… j’ai soif !… je souffre !…

Oroboa prête l’oreille, se rapproche en rampant et découvre le comte d’Yville qui baigne dans son sang. Le blessé se lève péniblement sur son coude, mais retombe sur le sol.

L’Algonquine reconnaît le comte d’Yville pour l’avoir déjà vu chez le baron de Castelnay.

— Silence ! dit-elle, en mettant le doigt sur les lèvres du comte. Je vais vous sauver.

En marchant toujours sur les mains et les genoux, elle se traîne jusqu’aux canots des ennemis qu’elle défonce avec la hachette suspendue à sa ceinture. Elle fait de même pour les embarcations des Français.

Néanmoins elle respecte le canot qui lui semble le plus léger.

Cela fait, elle revient, avec des précautions infinies, vers le blessé qu’elle traîne sous les bras jusqu’à l’embarcation dans laquelle elle le couche avec peine.

Elle se saisit d’un aviron et s’éloigne du rivage en toute hâte.

Il était temps.

Un des Indiens, qui s’en allait puiser de l’eau au fleuve, aperçoit l’Algonquine qui va pousser le canot.

Un moment, il est cloué sur place, croyant voir surgir devant ses yeux terrifiés et subjugués, une divinité indienne, tant cette enfant est étrangement belle dans cette nuit claire.

Mais il se ressaisit.

Il donne l’éveil.

Tous aussitôt poussent des hurlements de rage, et s’élancent sur la rive. C’est de ce moment que Giovanni profita pour fuir.

Les Iroquois sautent dans leurs canots, mais à peine ont-ils donné quelques coups d’avirons que les embarcations coulent.

Quelques ennemis se noient, d’autres regagnent le rivage.

Les plus acharnés s’élancent en nageant à la poursuite des fugitifs.

Des flèches et une grêle de plomb sifflent dans les airs.

Mais le canot de la vaillante Algonquine est déjà loin.


XV

HÉROÏSME DE L’AMOUR.

Dans le calme enveloppant de ce soir d’octobre, sur la nappe limpide du grand fleuve, le canot de Daim-Léger allait avec la vitesse d’un coursier des déserts.

L’embarcation était à quelques arpents du rivage.

Ni l’Indien ni Johanne ne disaient mot.

Voici que la quiétude de la nature est troublée par des hurlements et des vociférations qui se répercutent dans les bois et sur les eaux.

Johanne et Daim-Léger ont tressailli.

Ils portent vivement leurs regards vers l’endroit d’où partent ces cris.

Cinq ou six Iroquois entourent un Français qui défend sa vie avec le désespoir de la mort.

À cette vue, Daim-Léger a sorti son aviron de l’eau.

— Mon frère le visage-pâle, dit-il, ne laissera point ces loups immoler ce malheureux, un Français comme lui.

Johanne ne répond pas.

Courir au secours de cet homme apportera un nouveau retard dans sa poursuite de Giovanni, un retard irréparable peut-être.

Mais cette pensée égoïste, alors qu’un des siens court un danger imminent, n’a fait que naître, elle n’est déjà plus.

Son sang de fille des Croisés bout dans ses veines.