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Elle répond avec assurance :

— À terre, Daim-Léger.

Les yeux de l’Indien brillent de joie.

Le canot vole sur l’eau.

Soudain, Johanne pousse un cri déchirant de douleur et d’épouvante, le cri du cœur qui agonise.

Au risque de faire chavirer l’embarcation, elle se lève à demi et jette ces paroles à Daim-Léger :

— Daim-Léger, au nom de tout ce que tu as de sacré, plus vite, plus vite !… Mon Dieu ! mon Dieu ! il va être trop tard !…

Et folle de douleur, tirant son épée du fourreau, elle dit avec transport :

— Giovanni !… tu ne vois donc pas que c’est Giovanni !…

Daim-Léger ne connaît pas ce Giovanni. Mais il sait, cœur noble et fier, qu’un des amis de sa race est en danger, et qu’il faut le sauver.

Courage !… courage !… s’écrie la vaillante fille du baron de Castelnay, nous arrivons !…

Giovanni frappait et d’estoc et de taille avec une valeur admirable. Sa longue épée, décrivait autour de sa tête des moulinets terribles. Chaque coup allait droit au but.

Un Iroquois, le ventre ouvert, par où pendaient les entrailles, se tordait sur le sol dans les affres de l’agonie, un autre combattait à genoux le flanc béant.

Mais Giovanni vient d’être atteint à l’épaule droite par un formidable coup de tomahawk qui lui casse la clavicule.

Il pâlit sous la force de la souffrance, mais continue à frapper de la main gauche.

L’un des Iroquois, qui s’est éloigné de quelques pas, lui lance une flèche qui l’atteint à l’épaule droite. Le sang coule rouge et abondant sous la chemise en lambeaux.

Maintenant le cercle tragique se resserre autour du blessé qui faiblit à vue d’œil.

Épuisé par la fatigue et la perte de son sang, Giovanni ne porte plus que des coups mal assurés.

Et Johanne hors d’elle-même, tête nue, son manteau à ses pieds, superbe de beauté, transfigurée par la douleur et l’héroïsme, crie :

— Nous n’avançons pas ! Daim-Léger, nous n’avançons pas !…

Qu’as-tu fait de la force de ton bras dont tu te vantais ?…

À ce moment même Giovanni plongeait son épée jusqu’à la garde dans la poitrine d’un Iroquois géant.

Il ne peut retirer à temps son épée, et le cadavre s’écroulant, brise la lame.

Il va ramasser le tomahawk de celui qu’il vient de tuer quand il est saisi dans un étau humain.

Un ennemi qui veut le prendre vivant l’enlace de ses bras de fer.

Les deux hommes roulent sur le sol. Leurs corps s’enlacent comme deux serpents.

Le Français saisit à la gorge l’Indien qui râle sous les doigts qui se referment.

Mais Giovanni est renversé lui-même en arrière par un jeune Iroquois souple et nerveux.

C’en est fait du Français…

Un des ennemis lui tient la tête, clouée au sol par sa longue chevelure noire, un autre, celui qui l’a renversé, furieux de la résistance et voulant en finir, lui broie la poitrine sous le poids de son corps et s’arme d’un couteau qui pend à sa ceinture.

Il décrit dans le ciel un cercle rapide. L’arme va s’abattre sur le front, et la peau du crâne, après avoir été entaillée d’un seul coup, va être arrachée avec la chevelure.

Alors Giovanni recommanda son âme à Dieu.

Toute sa vie malheureuse se résuma dans son esprit avec la mystérieuse rapidité des derniers instants qui précèdent la mort.

Il eut un souvenir suprême pour l’Algonquine et attendit le coup fatal.

Mais il respire plus librement. L’Iroquois qui lui oppressait la poitrine est tombé à la renverse, tenant encore dans ses doigts crispés la lame menaçante.

Johanne, au paroxysme de la terreur à la vue de la mort suspendue au-dessus de la tête de son Giovanni, n’avait pas attendu que le canot eût touché terre. Elle s’était jetée dans le fleuve, ayant de l’eau jusqu’à la taille.

Et, au moment même où l’Indien au couteau allait scalper son adversaire terrassé, Johanne d’un bras que l’amour rendait ferme et sûr,