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lui avait passé son épée entre les épaules.

Elle n’avait pas encore retiré son arme qu’elle s’affaissait sans prononcer une parole, mortellement atteinte en pleine poitrine d’un coup de poignard.

Ses beaux yeux se fermèrent à la lumière et ses lèvres exquises faites pour aimer et charmer répandirent des flots de sang.

Pour toute arme, Daim-Léger, qui n’avait que des flèches, s’empara d’une de ces flèches et en transperça le cœur de celui qui retenait Giovanni cloué sur le sol.

D’un bon le jeune homme fut sur pied. Ramassant le couteau qui devait le scalper, il ouvrit la poitrine d’un des Iroquois qui restaient tandis que Daim-Léger, d’un coup de tomahawk, mit à nu la cervelle du dernier des ennemis, qui avaient attaqué la petite troupe du comte d’Yville et rattrapé Giovanni dans sa fuite.

Daim-Léger transporta Johanne dans ses bras, à quelque distance du théâtre du combat.

Après avoir coupé trois ou quatre brassées de fougère, il en fit une couche sur laquelle il étendit la blessée qui n’avait pas encore rouvert les yeux.

La pâleur de la mort recouvrait ses traits. Le poignard était resté dans la blessure.

Giovanni, lui-même, arracha le fer de la plaie.

Et pour se rendre compte de la gravité de la blessure, et arrêter l’effusion du sang, il dégrafa le pourpoint…

Soudain, il pousse un cri…

Il se penche au-dessus du visage du blessé pour mieux en reconnaître les traits, à la flamme fumeuse et pétillante d’une torche résineuse que vient d’allumer Daim-Léger avec son fusil qu’il porte à sa ceinture dans une espèce de sachet en peau de castor.

— Johanne !… s’écrie-t-il… Mon Dieu ! ne suis-je donc né que pour faire le malheur de ceux qui me veulent du bien !…

La jeune fille rouvre les yeux, ses incomparables yeux profonds comme la mer, lesquels, en rencontrant ceux de Giovanni, ont un dernier resplendissement d’étoiles.

Un sourire divin de mélancolie entr’ouvre ses lèvres exsangues.

Elle s’empare d’une des mains du jeune homme qu’elle presse dans les siennes :

— Mon Giovanni, soupire-t-elle, je t’ai trop aimé !… Dieu me punit… j’ai chassé l’Algonquine de chez moi… Elle est digne de toi…

Maintenant Giovanni pleurait…

Daim-Léger, debout, immobile, éclairant ce spectacle lugubre de sa torche, ressemblait à une statue.

— Johanne, sanglota Giovanni, taisez-vous, de grâce, nous vous guérirons.

— Non, mon aimé, c’est la fin !… Mais, puisque tu me refuses ton amour, je meurs contente, ayant reçu dans mon sein cette arme qui t’eût donné la mort !…

Si vous revoyez mon père, priez-le qu’il me pardonne… et dites-lui que Johanne de Castelnay est morte en fille de preux.

La moribonde, à présent, parlait avec une extrême difficulté.

— Ensevelissez mon corps sur cette éminence, continua-t-elle. Vous planterez une croix sur ma fosse… afin que le passant chrétien… y laisse tomber une prière… pour le repos de l’âme de celle qui a trop aimé…

Réunissant tout ce qui lui restait de vie dans ce geste, elle étendit ses deux bras pour attirer vers ses lèvres assoiffées d’amour la tête de Giovanni à qui elle donna un de ces longs baisers qui contiennent toute une éternité de bonheur et de fidélité.

À ce moment, comme si le Ciel lui-même l’eût envoyé, le Père Déziel passa près du groupe, en compagnie de deux Hurons. Il venait de Montréal et se rendait à Québec en canot. Le missionnaire et les Indiens étaient descendus à terre pour se reposer.

Le père Déziel, de la Compagnie de Jésus, qui comptait quarante ans d’apostolat dans les forêts de la Nouvelle-France, était un noble vieillard à longue barbe blanche. On l’avait attaché deux fois au poteau de torture. Son corps était couvert de cicatrices, ses doigts étaient mutilés. Une large balafre traversait sa joue droite. À la place de ses cheveux, on voyait