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brillante Johanne, le dernier rejeton des Castelnay.

Après que la fosse eût été comblée, Giovanni coupa deux branches de bouleau qu’il lia avec une courroie. Il en fit une croix qu’il planta sur le tombeau.


XVI

LA CAVERNE

À l’aube, le père Déziel et ses deux Hurons firent leurs adieux à Giovanni et à Daim-Léger.

Ce dernier insista pour conduire aux Trois-Rivières le jeune Français qui voulait à tout prix retrouver Oroboa.

La blessure de Giovanni le faisait moins souffrir, après que Daim-Léger y eût appliqué une compresse de feuilles de saule écrasées et largement abreuvées d’eau.

Ils partirent au lever de l’aurore, bien que le ciel chargé de nuages menaçants donnât des signes précurseurs d’orage.

Le canot, poussé par les bras musculeux et exercés de l’Indien, allait avec la rapidité du vent. L’embarcation d’écorce semblait, parfois, sortir complètement de l’eau.

Ils étaient arrivés à deux milles au nord du Cap-de-la-Madeleine, quand tout à coup la tempête, longtemps suspendue au-dessus de leurs têtes, se déchaîna avec une violence formidable. Les sifflements aigus du vent dans les airs faisaient penser à une bataille d’hyènes et de chacals dans le désert. Dans le ciel terne, de grosses nuées de grisaille qui noircissaient couraient comme un troupeau de bêtes affolées qui fuient devant la tempête !

Quelques instants plus tard, la pluie tombait glaciale et serrée.

Daim-Léger dit à son compagnon :

— Que mon frère le visage-pâle sache que le Grand-Manitou ne veut pas que nous allions plus loin. Nous allons tirer sur le rivage.

Giovanni n’avait pas l’expérience de la vie des bois. C’était la première fois qu’il montait ces canots dont la légèreté est si avantageuse, mais si dangereuse.

Il répondit :

— Que mon frère Daim-Léger agisse comme il l’entend.

Malgré les recommandations que lui avait faites le Huron, Giovanni se retourna brusquement dans le canot qui chavira.

À ce moment, la tempête déployait toute son horrifique violence. La foudre, tantôt grondait sourde et contenue comme si, dans les airs eussent galopé des millions de cavaliers ; tantôt elle éclatait stridente, avec des éclats secs et retentissants. On eût dit que les cieux allaient se fendre et les flots s’entr’ouvrir.

Les rives du fleuve n’apparaissaient plus que comme deux lignes bleuâtres presque imperceptibles qui s’estompaient avec le gris du ciel.

Les éclairs fulguraient nets et tranchés, ou bien ils embrasaient le ciel dans une lueur aveuglante.

La première pensée de Daim-Léger, dès que le canot eût chaviré, fut pour Giovanni.

Admirable de dévouement pour les alliés de sa nation, pas un instant il ne songea à se sauver seul. Dès que Giovanni, blessé, reparut à la surface de l’eau, il l’empoigna par la taille, et se mit à nager d’une main vers le rivage, à une distance d’un demi-mille.

Le brave Indien vient de toucher au rivage. Il est temps. Ses membres sont ankylosés par le froid et l’épuisement.

Giovanni dans ses bras, il cherche, dans l’épaisseur de la forêt, une retraite que les torrents qui tombent du ciel n’ont pas atteinte.

Le plus important pour l’heure, c’est de faire du feu pour se faire sécher et se réchauffer.

Mais comment le pourra-t-il ? Il n’a pas de fusil et tout est imbibé d’eau.

Soudain, au-dessus d’une anfractuosité de rocher, dans un ravin, il découvre une fumée bleuâtre, qui, poussée par le vent, s’élève en rampant dans les airs.

Cette caverne, sans aucun doute, est habitée.

Il ne veut pas s’aventurer à l’intérieur sans armes et avec Giovanni dans ses bras.

Avec la prudence toujours en éveil du sauvage, il craint de tomber dans une embuscade.

Alors, il fait entendre trois cris d’alouette.

Un éclair de joie déride son front et allume ses noires prunelles, quand, des profondeurs de la caverne, retentissent trois cris semblables à ceux qu’il a poussés.