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Redoublant le pas, il contourne l’entrée de la grotte, et voici le spectacle qui s’offre à sa vue.

Sur un lit de feuilles sèches, est étendu le comte d’Yville, un bras en écharpe et le front ceint d’un bandeau. L’Algonquine est assise à ses côtés sur un siège formé de deux grosses roches. À l’entrée brûle un feu de broussailles qui jette une lueur vive et une chaleur réconfortante. Les vêtements du comte d’Yville et ceux d’Oroboa sont en lambeaux. À la ceinture de cette dernière brille la lame d’un poignard, tandis qu’à ses pieds sont couchés l’arc et une couple de flèches qui restent du carquois du malheureux Plume-de-Faucon.

À la vue de Daim-Léger qui porte dans ses bras le Français inanimé, l’Algonquine s’élance en avant et pousse un cri de douleur !

L’Indien s’est mépris sur le sens de cette exclamation de désespoir qu’il a prise pour de la terreur. Il dit :

— Que la belle Fleur-des-Bois, fleur plus ravissante, au sein de cette tempête, que n’a jamais contemplée Daim-Léger, soit sans crainte : je suis son ami, de même que celui de ce visage-pâle que je viens de sauver du fleuve en furie. Daim-Léger demande à sa sœur de faire une place à son frère dans son wigwam, à côté de son feu.

Mais Oroboa, les yeux rivés sur la forme inerte de Giovanni, n’écoutait pas.

Lui, lui, qu’elle n’espérait plus revoir, il lui était rendu, mais dans quel état !…

Elle dit enfin :

— Que mon frère Daim-Léger ne se trompe pas : je ne crains rien. Je suis ravie de partager ma retraite avec lui. Mais que mon frère parle vite : le visage-pâle vit-il encore ?

En prononçant ces paroles, une anxiété fébrile est peinte sur ses traits et des larmes abondantes coulent de ses yeux.

Le vaillant fils du sagamo Noël Tecouerimat ne répond pas.

Il dépose sur les feuilles sèches, Giovanni, dont il entr’ouvre la chemise et il applique son oreille sur son cœur.

— Il vit, dit-il, en se relevant.

Un cri de bonheur s’échappe de la poitrine oppressée de l’Algonquine.

Le comte d’Yville qui vient de reconnaître les traits du jeune Français l’appuie sur son coude, tandis qu’un sourire de joie erre sur ses lèvres pâles.

Tout à coup, le comte fait entendre, à son tour, un cri déchirant. Oubliant qu’il est blessé, il sort son bras de son écharpe et se jette éperdument sur le corps de Giovanni qu’il couvre de baisers.

— Mon fils !… mon fils !… enfin, j’ai retrouvé mon Gaston… mon petit Gaston !… répète-t-il sans cesse.

L’Algonquine et Daim-Léger croient le comte atteint de délire.

Tous deux échangent un regard attristé.

— Mon fils !… mon fils !… enfin, je te retrouve !… reprend-il.

Et en retombant sur sa couche, épuisé :

— Ne te retrouverais-je que dans la mort ?

À ce moment même, Giovanni ouvrait les yeux.

Cette fois encore, comme chez le baron de Castelnay, ce fut la figure enchanteresse de l’Algonquine qui s’offrit la première à ses regards.

À cette vue, ce fut comme un fluide magnétique qui se glissa dans ses membres.

Il se leva fébrilement, et, sans faire attention aux témoins de cette scène attendrissante, il prit Oroboa dans ses bras.

Il répétait en l’embrassant avec transport :

— Oh ! dis, Oroboa, est-ce bien toi que je revois dans toute la grâce enivrante de ton irrésistible beauté, ou bien si ce n’est que ton âme plus pure que le rayon de soleil qui brille sur le lys immaculé des vallées ? Oh ! c’est toi, oui toi, puisque je te retiens dans mes bras et que tu ne t’enfuis pas ; puisque je sens battre contre le mien ton cœur généreux ; puisque je vois tes admirables yeux noirs me sourire avec la candeur d’un ange du bon Dieu.

L’Algonquine, appuyant sa tête sur la poitrine de Giovanni, murmurait avec, dans la voix, des sanglots d’ineffable joie :

— Je t’aime !… je t’aime !…

Le comte d’Yville, s’adressant alors à Giovanni, lui demanda sur un ton de doux reproche, mêlé d’orgueil et d’émotion intense :