Page:Girardin - La République et les Républicains.djvu/13

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palement sur le classement de la société selon le mérite et l’utilité des individus qui la composent. Il assignait à chacun son rang selon la facilité ou la difficulté qu’il y aurait à le remplacer ; on comprend que dès lors il tenait moins aux princes qu’aux grands artistes, et qu’il faisait bon marché de tous les ministres, attendu que l’on en trouve toujours pour remplacer sans perte ceux qui s’en vont. Nous ne chercherons pas à juger si, sur ce point, la doctrine de M. de Saint-Simon serait aujourd’hui d’une bonne application, mais nous doutons fort qu’avec son esprit, sa rare judiciaire et son bon sens il eût adopté les extravagances de tous ceux auxquels son livre a rouvert les portes si longtemps fermées du socialisme.

Nous avons eu l’honneur de connaître M. de Saint-Simon comme un homme d’un esprit très supérieur et visant peut-être un peu à l’originalité. Un jour, entre autres, nous lui avons entendu dire, devant Benjamin Constant qui n’était point du tout de son avis, que la crainte d’être pendu était le plus grand obstacle au développement et à l’application du génie humain. Nous pouvons d’ailleurs affirmer que, de son vivant, M. de Saint-Simon n’eut jamais la moindre prescience de son apostolat posthume.

Il faut que la doctrine de M. de Saint-Simon ait cependant été douée d’une vie bien robuste pour que l’application qu’en ont faite les saint-simoniens ne l’ait pas tuée. Nous avons vu le sanctuaire de Ménilmontant, où les chefs du nouveau culte, le père Enfantin et le père Michel Chevalier promenaient leur dignité sous de magnifiques costumes, tandis que d’autres frères balayaient les cours ou présidaient au pot-au-feu. Pauvres jeunes gens ! Ils avaient porté là leur enthousiasme, leur innocence et leur argent ; après la dissolution de la société, heureux ceux qui en rapportèrent leur innocence !

Dans l’état actuel des choses, il se pourrait que la tentative faite par les saint-simoniens eût rendu un grand service à la France. C’est une expérience consommée, dont il est bien à