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de brûlures. Tous ses derniers poèmes, comme pour provoquer enfin l’embrasement, avaient pour sujet la flamme, l’étincelle, les yeux, Suzaia et ses oiseaux brûlants. Un jour tout flamberait… Mais la guerre était venue.

Tout ce qu’il avait entassé chez lui comme une panoplie, le droit de souffrir, de faire souffrir, de tuer, de se tuer, tout ce qu’il considérait à juste titre comme ses biens propres et ses armes dans toute l’Amérique, fut distribué par elle au moindre soldat d’Europe. Les permissionnaires français dans les rues de New-York portaient sur eux mille marques, qu’il avait cru réservées à lui seul, le regardaient du regard qu’il savait trouver devant un miroir mais qui lui échappait encore devant un homme autre que lui. Il les suivait toute une journée, il essayait de reprendre à la dérobée sur eux un de ses propres sentiments, il les emmenait boire, et de même qu’il s’enivrait pour se venger de lui-même, il les enivrait. Chaque victoire, française, ou serbe, ou allemande, l’exaspérait ; il ne pouvait supporter cette gloire sans cesse en remous, ni surtout cette vie exaspérée que prenaient maintenant les noms propres ; ces noms de chefs inconnus soudain illustres, ces noms médiocres de l’Ourcq, de Verdun s’élargissant sans fin, ces noms sur lesquels toute une semaine, Cambrai, Sédul-Bahr, se posait l’aurore même… pour s’évanouir ; et ces déblaiements du moindre village qui rendaient plus en gloire que toute une nécropole antique. Son plus grand orgueil avait été de créer une fois un nom propre : « Pan Bix », le héros de tous ses livres, un