Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/23

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mare. Je séchai plusieurs jours, étendu et mouillé. Je devinais autour de moi ma famille, qui toussait, froissait des étoffes, et assise face à mon lit, s’y chauffait comme à un grand feu. Des lèvres m’effleurent, légères et sèches, il en vient jusqu’à ma poitrine découverte ; elles se posent, muettes, veloutées, un peu onctueuses, comme des papillons de nuit, accompagnées parfois de lumières, précédant les laitages, le sommeil et la grosse fièvre. Les unes choisissent avant de se poser : je les devine au-dessus de moi, entre mon oreille et mon front, qui planent et hésitent. Elles tombent soudain, et appuient avec tant de force que l’on sent au-dessus d’elles le poids d’un cerveau ; d’autres s’abattent au hasard, sur mes yeux, sur ma chemise, sur mes lèvres, sautant et trébuchant, comme des sauterelles à jambes inégales ; mais toutes sont discrètes et respectueuses, si bien que l’on dirait que c’est la même personne qui est chargée de m’embrasser.

Mes premières paroles furent pour demander le père Voie. J’avais dû l’appeler, pendant mon délire, car personne ne parut étonné.

— Il viendra quand tu seras guéri, dit seulement mon père ; il viendra demain.