Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/27

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les deux autres l’écoutent, la bouche entr’ouverte si sûrs qu’il va la faire rire ! Il plaisante, et eux rient les premiers ; et elle finit par rire, jusqu’à ce que le seau déborde, l’éclaboussant. De la main elle puise quelques gouttes, et les leur jette. Ils se pressent l’un contre l’autre, feignent d’être tout mouillés, de renverser leur banc, dans leur hâte, et ils la menacent de leur canne. Puis ils la suivent de leurs yeux dont le bleu blanchit, hochant la tête comme pour encourager et approuver chacun de ses gestes harmonieux ; car elle va, en équilibre, un seau à chaque main, entourée d’un cercle que le père Morin a dû lui donner. Ils appellent par des noms qu’ils inventent les chiens qui rôdent, à la recherche des veaux qui sont passés hier, mais le père de l’adjoint les injurie et les chasse. Le nain qui vend les journaux vient s’asseoir, sa tournée finie, près d’eux, mais une fois assis, il les surpasse de la tête, car ses jambes seules sont si petites. Ils lui volent sa casquette à lettres d’or et l’essayent à tour de rôle, et elle va à chacun, car les vieux, tout leur va, les vieux sabots, les vieilles blouses, la vieille soupe. Ils s’étonnent plus des faits habituels que des aventures qui ameutent le village. Les machi-