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RETOUR D’ALSACE

ils ont l’impression que ce pays est celui de la liberté. Il suffirait seulement d’un signe pour distinguer aussi ces diables de dames des valets. Ils bavardent avec la kellnerin, qui sait tout juste leur répondre, et qu’ils appellent la petite Babette, alors que son nom est Magda. Ils la trouvent charmante d’accepter leurs genoux. Ils l’embrassent. Celui qui écrit là-bas à ses parents doit commencer ainsi sa lettre : « Je vous écris dorloté par une petite Alsacienne ! »

Je couche dans son lit, à l’Alsacienne ; un lit très court, mais dont le pied est en arceau, de sorte que mes jambes peuvent dépasser ; un lit d’otarie. J’y couche botté, mais j’enlève ma capote et, comme les confettis le matin des Cendres, les fleurs de Thann tombent sur la descente de lit, qui les boit et me rend de larges fleurs allemandes, mauve et grenat. La chambre est damnée : je ne peux faire un geste qui ne soit celui d’un romantique allemand ; si j’ouvre la fenêtre, comme dans les tableaux de Schwind, un rayon de lune vient caresser ma joue droite, mes cheveux, qui pour la première fois ont frisé, et les cabochons du vitrail. Je répare mon revolver, lisant à la bougie une lettre bleue, je suis Werther. Je me venge sur l’Allemagne moderne, en déchirant ce portrait de Tirpitz, ce portrait d’étudiant inconnu à trois