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Page:Giraudoux - Retour d’Alsace, août 1914.djvu/79

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RETOUR D’ALSACE


23 août.

Alerte à quatre heures. À cause du soleil, sans doute, qu’on n’attendait pas aussi éclatant. Pas un nuage, pas un souffle. Chacun prédit tout haut qu’il va faire beau et est enchanté de l’apprendre du voisin. Les hommes se déshabillent pour se laver et font queue aux pompes ; la plaisanterie habituelle est d’éclabousser Ragueton, qui a des pantoufles en tapisserie. Des portes, où les rayons du soleil entrent horizontalement, ressortant par la porte du fond, nous nous interpellons entre sergents, car une humeur de caste, le matin, nous pousse à ne parler qu’à nos égaux en grade. J’envoie au diable mon caporal qui, le soir, est insolent, mais qui, à l’aube, ne s’y fie pas. Un brave commandant fait pivoter là-bas son secrétaire, chaque matin professeur consterné, qui regagnera graduellement dans la journée son importance, comme s’il reprenait chaque jour sa licence à midi, son agrégation à quatre heures, si bien que le commandant, plein de considération vers le crépuscule, l’invite toujours à dîner. Les sergents, distribuent des boutons, du savon, du cirage, saluant les autres sergents sans attendre la réponse.

— Ça va ?

— Et toi ?

— Allons, tant mieux !