des yeux, des lèvres, des dents de dix-huit ans, le visage enfin de celui qui est là et que vous appelez un étranger !
Il me regarda tendrement, mon visage d’aujourd’hui masqué pour lui de mon visage de la redoute…
Mais Eva haussait les épaules… Je prétextai un rendez-vous et les laissai…
Kleist ne fit aucune allusion à ma lettre, mais à la
façon dont il me serra la main, je compris qu’il l’avait
reçue. La leçon fut moins bonne que la veille, il était
distrait. Le chapitre du coiffeur, de la visite au Musée
Grévin n’arrivèrent point à le captiver. Je crus qu’il
attendait Eva, mais j’appris bientôt qu’il s’agissait
d’une triste visite. Il m’apparaissait non pas transformé
depuis hier, mais plus ressemblant à la dernière
image que j’avais conservée de lui. J’appris à
la fin de la soirée pourquoi il avait enlevé ses lunettes
et se condamnait à plus de myopie, écourté sa barbe,
coupé ses cheveux. Sa chemise était à col souple et
ouvert, ses escarpins laissaient voir presque entièrement
ses pieds. De tout son être il était bon, affectueux,
mais hors du présent. Je me souvenais avoir éprouvé
à un degré plus faible la même impression, et il me
revint que c’était à la Fourrière. Chaque chien sur
mon passage se relevait, l’oreille contractée pour
donner à l’onde sonore la forme de son nom, s’étalait
pour indiquer sur lui ce qu’il croyait sa marque. Un
flux et un reflux de souffrance agitait les toisons des
caniches bruns comme le vrai flux un bouquet d’algues.