Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/139

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plus gourmands et les moins dévoués à la patrie des singes, au lieu de noix et de bananes pleines, m’envoyaient des coquilles et des pelures qui, elles, flottaient. Puis j’entendis des cris d’enfant qu’on bat et je vis, dégringolant de liane en liane sans qu’aucune pût le retenir, un singe ridicule, à peine plus gros que les singes pour orgues de Barbarie (le dernier que j’avais vu de cette taille était habillé), qui se tournait de face vers moi, qui ne put même garder cet équilibre, et dont je vis soudain le derrière bleu. Tous les autres, indignés de voir trahir ainsi à la fois leur présence et leur secret, s’enfuirent, et la verdure fut trouée de cent taches indigo. Je les vis d’arbre en arbre sauter, comme un ramoneur surgir de chaque cocotier, se poursuivre chacun comme le dénonciateur, disparaître. Puis, dans le voisinage, je les entendis pousser ensemble la même clameur, une exclamation provoquée sûrement par quelque autre bête, mais cette fois unanime, et dont l’accord prouvait que passait là-bas un être sur lequel les singes ne sauraient avoir d’avis et de cris mélangés comme en ce qui regarde une jeune fille de Bellac… un boa peut-être, ou un fauve… Mais je n’avais pas peur, j’avançai…

Joie, pour qui ne sait plus ce qu’est un œil, sans gaine blanche, un œil autre que l’œil des