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Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/206

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vais pour cet inconnu de Leeds, à chaque instant, qu’un geste filial. Comme pour mon grand-père, je ne pouvais supporter d’être à son côté, je ne me sentais utile et sûre que debout à ses pieds, sur l’axe même de cette vie, formant au-dessus de la Mort, jadis avec ce mourant, ce soir avec ce noyé, à peu près le même groupe que l’homme et sa brouette au-dessus du Niagara. Je n’osais me pencher que vers lui, à cause du vertige. Chaque flot un peu bruyant, chaque liane glissant, chaque chute de noix me faisait frissonner comme s’il était lié par des fils invisibles aux fruits, aux branches, aux oiseaux, anglais, à chaque vague, — et que tout bruit était preuve en lui d’un secret mouvement. Je le contemplais, j’avais maintenant la science à peu près complète de son corps, je n’y découvrais que deux petites traces, imperceptibles, de son naufrage et de la mort, un œil fermé d’un bourrelet plus fort que l’autre, celui sans doute qui avait touché l’eau le premier, et une égratignure près de l’épaule. Blessures fraîches que je soignai comme celles d’un vivant !

Quand j’eus tout appris de lui, quand je l’eus épuisé comme un journal, quand j’eus tourné autour de lui, de près ou à distance, comme jamais Anglaise ne le fit autour d’une statue dans un musée, quand toute mon île eut été rebâtie,