Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/84

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dans mon oreille comme si c’étaient les derniers cris qu’ils eussent poussés en mourant… Ma main avait rencontré dans le sable une racine ; je somnolais sans la lâcher, mon dernier câble…

— Très pratique, — dis-je en m’éveillant, malgré moi encore…

C’est ainsi que j’appris la mort du général…

Il n’y avait pas de lune. Je cherchais vainement à prendre pied dans ce ciel opaque. Je n’osais sortir de mon radeau ; à mon côté droit, la mer passait et repassait comme une varlope ; à mon côté gauche, l’île se taisait. Pourquoi une île ? Je ne sais quoi l’indiquait au toucher. Les heures s’écoulaient. Je reconnaissais chacune des veilles à un bruit inconnu, mais dont je devinais la traduction. Vers le milieu de la nuit, un cri de trompette et trois hululements, ce qui devait être ici le premier chant du coq ; un peu plus tard, ce qui devait être ici notre brise de deux heures et ses jasmins et sa glycine : une haleine en vanille et en poivre ; plus tard encore, des fracas de baisers qui firent taire tous les autres oiseaux, ce qui devait correspondre ici aux roulades, au rossignol. Je n’osais penser. Deux ou trois mots me traversaient parfois, le mot la Nuit, le mot la Mer, comme si tous ceux qui ont prononcé ces deux mots-là m’avaient sauvée, puis étaient morts… Puis un souffle sec,