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L’Isolé.



Ô mon cœur ! ô mon cœur ! tu connais cette angoissé
Interminable et lente et qu’on ne peut tromper !
Faut-il que chaque jour qui se lève l’accroisse,
Et sans cesse l’ennui devra-t-il nous saper ?

Recommenceras-tu la très-niaise histoire
De l’angélique amour dont on rêve à seize ans :
Vin incolore et fade, et qu’on ne saurait boire
Sans noyer de langueur ses organes puissants ?

Ah ! chanter sous les cieux avec une ingénue
Dont rien encor n’a fait soulever le corset,
Et baiser avec soin, le long de l’avenue,
Les feuilles que sa robe en ondoyant froissait ;

Violenter un cœur de glace pour lui faire
Exhaler un aveu qu’emportera le vent,
C’est bon lorsque sourit l’aube, quand l’atmosphère
Se teint de rose et d’or sous le soleil levant.

Mais, quand le fier Amour a la vaste poitrine,
Le dieu fort, irrité, le tyran furieux,
Sous son doigt menaçant, devant qui tout s’incline,
A courbé vers le sol notre front sérieux ;

Quand les désirs sans frein sur leur aile sublime
Ont emporté notre âme aux champs de l’infini,
Qui, sans être saisi de démence et sans crime,
Sur les bords du Lignon reconstruirait un nidt