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Page:Glatigny - Œuvres, Lemerre.djvu/297

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Le soleil sur nos fronts fait éclater sa joie ;
L’arbre est gai, les oiseaux sont ivres d’air ; l’été,
Superbe et bienfaisant, sur le pré se déploie.
Que me vient faire ici ce poète attristé ?

Il est triste ! pourquoi, Seigneur ? Je le demande !
Quand les roses d’avril ont germé sous ses pas,
Lorsque, tournant vers lui ses regards en amande,
La fortune toujours prit soin de ses repas.

— C’est vrai, fis-je. De quoi se plaint-il ? Tous ses drames
Sont acclamés. Sa vie est tout miel et douceur ;
Il n’a pas d’envieux. Ceux que nous admirâmes
L’admirent. Hamburger l’appelle un grand penseur.

Nul critique hargneux et chagrin ne le nie,
Il a tous les bonheurs voulus et jalousés :
Le sort, pour lui, jamais n’eut la moindre ironie :
Que de gants sans couture à l’applaudir usés !

Il est riche, il est jeune, et pourtant l’amertume
Perce dans chaque mot qu’il prononce ; on dirait,
Quand il foule, en passant, nos trottoirs de bitume,
Un Manfred échappé de sa noire forêt.

Si les heureux du monde ont ainsi la tristesse
Au cœur, et si leurs yeux sont farouches, alors
Que diront donc les gueux, ceux qui n’ont pour hôtesse
Que l’étoile du soir riant de leurs efforts ?