Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
L’Adieu du Poète

à chaque instant le secret surpris ? Tout de suite, j’ai deviné en vous le barde canadien ; croyez-vous que la flamme du génie meure ? Elle vivait bien ardente dans vos prunelles : et lorsque vous parliez du Canada, vous aviez l’éloquence du vieux soldat de Carillon ! Le prestige de votre talent m’a fascinée ; c’est Crémazie que j’ai aimé en vous, et vous croyez que je vais partir ?

Crémazie (faiblement)

Restez, Jeanne, restez. Le malheur est venu à moi, pour me procurer cette infinie douceur de connaître l’âme féminine ; la vôtre, chère petite, bien faite pour consoler mon agonie, car je sens que je m’en vais… Hélas ! Je dormirai donc sur la terre étrangère, moi qui aurais tant voulu reposer là-bas, dans un coin isolé, mais dans ma patrie !

Jeanne

Pourquoi pleurer ainsi ? Cette France que vous avez chantée, cette France que, là-bas, vous avez fait aimer à des milliers de frères, cette France qui est devenue votre seconde patrie, croyez-vous que sa terre sera lourde à votre tombe ? Laissez-nous un peu de vous : si la France garde votre corps, le Canada ne saurait être jaloux, car il aura toujours votre âme !

Crémazie

Vous avez raison Jeanne, le sol français me sera léger, et je dormirai bien doucement à côté des aïeux. Mais croyez-vous que l’on gardera mon âme là-bas ?

Jeanne (fièrement)

Vous ne serez pas oublié, et parce que vous avez chanté les fleurs de lys et les trois couleurs, on immortalisera votre mémoire !

Crémazie

Il me semble entendre la voix de mes sœurs de là-bas dans vos accents fiers. Merci, Jeanne !

Jeanne (effrayée de l’altération de sa voix)

Reposez-vous, mon ami ; fermez les yeux ; toutes ces pensées vous brisent !