Page:Gobineau - Adelaïde - 1914.djvu/48

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précisément, mais laissa entendre qu’on ne lui parlait pas de choses impossibles. Ce que le monde voyait de la façon la plus claire, c’est que la santé d’Elisabeth assez chancelante depuis quelque temps se rétablissait à vue d’oeil, et l’air de félicité parfaite établi sur son visage était de nature à pousser toutes les femmes d’un certain âge à épouser des jouvenceaux. On était au plus fort de cette affaire qui intéressait la société entière quand le ministre de la Guerre donna son grand bal annuel.

Quelques personnes remarquèrent de bonne heure que Rothbanner, dans sa grande tenue d’aide de camp qui, par parenthèse, lui allait à merveille, ne sortait pas de l’embrasure d’une porte où il était à moitié caché par un rideau. Il était pâle comme un mort. Vers une heure du matin, Adélaïde, belle à tourner la tête à l’univers, d’une gaieté étourdissante, ayant semé à droite et à gauche mille mots charmants qu’on répétait, n’avait pas quitté une minute le bras de Christian fou, ivre, délirant de bonheur (le bonheur lui sortait par tous les pores, au brave garçon, et le camélia qu’il avait à la boutonnière semblait le respirer). Comme on venait de finir une valse, le couple heureux se promenant de droite et de gauche, recueillant partout des sourires, arriva à la porte où se tenait Rothbanner adossé contre la boiserie. Adélaïde s’arrêta devant cet homme qui de pâle devint livide. Elle le considéra un instant sans parler, puis d’une voix pénétrante, elle lui dit en le regardant dans le fond des yeux d’une façon singulière: