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Page:Gobineau - Adelaïde - 1914.djvu/53

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eut le double courage et la prudence admirable, d’abord de témoigner des doutes quant à l’acquiescement de sa fille à un mariage, secondement de ne pas dire un mot à son mari. De cette façon, elle s’innocentait d’avance aux yeux du monde des extravagances qu’Adélaïde pouvait méditer et elle n’éveillait pas, elle-même, chez Frédéric cette jalousie qu’elle avait appris à connaître et dont elle savait d’avance les conséquences. Il est curieux que les passions de ce dernier ordre-là ont d’autant plus d’énergie et de cruauté que ceux qui les éprouvent sont plus faibles.

Le pendant exact de ce qui s’était produit avec Christian arriva avec M. de Potz, c’est-à-dire qu’Adélaïde s’attacha par les attentions les plus délicates à lui tourner absolument la tête et y réussit parfaitement. On parla de leur union comme d’une chose assurée. Rothbanner l’apprit et, pendant quelques jours, sembla disposé à y prêter les mains. Il en plaisanta avec Adélaïde elle-même. Cependant les deux femmes intéressées à suivre les mouvements de son cœur, le virent bientôt devenir sombre, inquiet, absorbé; l’une et l’autre, avec des sentiments, à coup sûr, bien différents, prévirent que sa maladie allait aboutir à une crise.

En effet, il entra un matin chez Adélaïde, s’assit à côté d’elle et lui prit la main. Elle se laissa faire et le regarda froidement.

— Me comprends-tu ? lui dit-il avec une douceur douloureuse.