Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/128

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te communiquer. Mon ministère n’a plus la majorité dans les chambres. Il ne l’a plus, parce qu’on veut le renvoi du baron de Storch.

— Pure sottise ! s’écria le docteur. Le baron est un digne homme et un homme de mérite. Je le considère comme le personnage le plus instruit et le meilleur administrateur que vous ayez. Sa grande fortune, il l’emploie à des fondations dont profitent les basses classes. Enfin, il est adoré des paysans, et je ne vois pas pourquoi vous lui donneriez son congé.

— Je lui donne congé, parce que l’avocat de bailliage Strumpf a ameuté tous les inutiles de notre Diète, et, comme c’est le plus grand nombre, il a avec lui ce plus grand nombre pour déclarer que Storch n’a plus la confiance du pays.

— Qu’est-ce qu’il a donc fait, ce malheureux Storch ?

— On n’allègue pas contre lui d’avoir fait précisément quelque chose de répréhensible ; mais on dit qu’il est usé.

— Je ne serais pas fâché d’apprendre ce que c’est que d’être usé. Car, pour autant que je pénètre le sens des mots, cette façon de s’exprimer n’indique pas une raison, c’est une comparaison. Si Storch avait quatre-vingts ans, je dirais : Storch est usé, parce que ses facultés ont diminué avec l’âge. Mais Storch a quarante-cinq ans, il se porte comme un charme et vient d’écrire un gros livre qui passe pour un chef-d’œuvre dans son genre.

— Tu peux avoir raison ; mais cela n’empêche nullement de dire qu’il est usé. Si ce mot ne te convient pas, je vais t’en dire un autre et t’affirmer que Storch n’est plus l’homme de la situation. Si tu m’objectes encore que tu ne sais pas ce que signifie : être l’homme de la situation, et que, sans être une raison, ça n’a plus même le mérite