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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/129

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d’être une comparaison, je pousserai la condescendance jusqu’à l’excès en t’assurant que Storch ne répond pas aux aspirations et aux besoins de l’époque.

— Je donne ma langue aux chiens, j’avoue mon insuffisance et je m’obstine à ne pas pénétrer pourquoi le baron de Storch, qui administre le pays depuis quinze ans, qui, depuis quinze ans, a créé une foule d’établissements utiles et fait naître une prospérité dont chacun se rend compte, est usé, n’a plus la confiance du pays, n’est plus l’homme de la situation et ne répond pas aux aspirations et aux besoins de l’époque. S’il a tous ces torts mystérieux, existe-t-il, du moins, quelqu’un qui ne les ait pas ?

— Évidemment !

— Et quel est ce mortel fortuné ?

— Strumpf. Comment tu ne vois pas que Storch n’est tout ce que je viens de t’expliquer que parce que Strumpf veut prendre sa place ?

— Et vous allez mettre à la tête de nos intérêts et des vôtres un fripon, un coquin, perdu de dettes, séparé de sa femme qu’il battait ignominieusement, un joueur, un…

— Non… non… Calme-toi, je ne donnerai pas ce plaisir à Strumpf ; mais s’il n’est pas assez fort pour me forcer la main à ce point, il l’est suffisamment pour me l’ouvrir et me contraindre à laisser aller l’excellent serviteur que je voudrais conserver. Il me faut donc former un nouveau cabinet et j’ai fait choix d’un homme tout à fait propre à y remplir le premier rôle.

— Qui donc ?

— Toi.

Le docteur bondit sur son siége. La consternation et la surprise se peignirent dans ses traits d’une façon si éloquente, que Jean-Théodore ne put s’empêcher de sourire.